BENIN Lionel Zinsou, le dauphin le moins attendu

21 juin 2015

BENIN Lionel Zinsou, le dauphin le moins attendu

 

N’en déplaise aux milieux politiques de la gauche béninoise qui en 1969 puis en 1977 applaudirent à la chute puis à l’anathème de son oncle, Lionel Zinsou fait une entrée plutôt remarquée dans l’univers politique béninois. Premier ministre certes inconstitutionnel mais Premier ministre tout de même, le neveu d’Emile Derlin Zinsou a la mission officielle de sauver ce qui peut l’être encore d’une fin de mandat préoccupante au plan social, contestable au plan économique et désastreuse au plan politique. Plus officieusement, l’un des meilleurs économistes d’Afrique ne vient pas au chevet de ses origines paternelles pour y opérer une panacée de dernière minute ; dix mois avant l’élection présidentielle de 2016, ce presque  sexagénaire d’envergure et d’ambition prend le risque du panier à crabes pour être aux starting-blocks du grand rendez-vous. Avec l’onction de Paris et celle plus curieuse de …Boni Yayi.

C’est dans les couloirs du siège de la Banque Mondiale  à  Paris que, pour la première fois, Boni Yayi lui en avait fait la proposition. L’on était alors dans l’euphorie de la Table Ronde des Partenaires pour le Financement du Développement du Bénin qui s’était ouverte le 17 juin 2014 dans la capitale française. Lionel Zinsou, Président de PAI Partners participait à cette rencontre en tant que représentant du Mouvement des Entreprises de France (MEDEF) ; la proposition du Chef de l’état béninois lui avait alors arraché un sourire intéressé ; il savait l’origine de cette offre et comprenait que les autorités françaises avaient fait le travail… Il lui revenait maintenant de ne dire ni oui ni non et de laisser la porte entrouverte pour plus tard…Ce qu’il fit. Le reste a fonctionné à la manière d’un puzzle dont l’on devine assez aisément le constructeur.

Quelques contacts ultérieurs entre le Président béninois et le Président de PAI Partners ont instauré entre les deux hommes, sinon de l’estime, du moins du respect. Le premier n’est pas insensible au pedigree et au background du second et il connaît sa grande familiarité avec les milieux socialistes français dont Les chefs sont aux commandes de la France. Le second apprécie le sens de l’écoute du premier et son apparente humilité. Pas assez pour instaurer la confiance politique mais largement suffisant pour se parler.

Une ombre tutélaire

D’autant plus que, danse au dessus de cette relation, l’ombre tutélaire de Paris. Il y  a longtemps que les autorités françaises sont renseignées sur la probabilité de crises électorales imminentes au Bénin, à la faveur des élections qui se profilent, et des dangers qu’elles sont susceptibles d’induire pour la paix au Bénin mais aussi pour la sous-région voire, la région. Après le Mali et le Centrafrique, la France entend conjurer les nouveaux foyers de conflits qui peuvent encore naître ici ou là sur le continent et dont on ne peut pas toujours prévoir le prolongement. L’aventure Djihadjiste aurait pu tourner court au Mali en l’absence d’un choix politique prompt, et l’atmosphère reste volatile en Centrafrique, livrée à tous les démons, même si la Communauté internationale par un engagement ferme et pragmatique a réussi les premiers rapprochements et assis les préalables d’un vivre ensemble reconstruit. Il est indéniable que les intégrismes et les radicalismes religieux sanglants cherchent partout en Afrique, des points d’entrée ; il est plus indéniable encore que les espaces de conflits confectionnent plus facilement que les autres, ces poches d’entrée de la barbarie radicale. Aussi la France tient-elle, à l’instar d’autres puissances, à s’en prémunir en prévenant, par une politique  qui rameute ses vieux réseaux, y compris les moins avouables, l’enlisement des pays qu’elle a su garder sous son influence, dans des situations crisogènes.

Plus que ce paramètre, le regain d’intérêt de la Chine pour l’Afrique, la résurgence des blocs et de la force dans les relations internationales, a fait renaître dans l’esprit politique et géostratégique français, l’urgence d’une résurrection subtilement idéologique, de la françafrique et des réflexes d’ingérence  qu’elle présuppose. Dans la vague nostalgie d’un empire disparu.

Enfin, le sentiment « anti français » de plus en plus grandissant dans les nouvelles opinions africaines a influencé ces dernières années certains courants politiques hexagonaux, dans le sens d’une  «  reprise en mains » du continent, sous peine de le voir s’éloigner. ..

Les élections

Et voici donc les premières consultations électorales ; elles ont pris du retard : le jeu de ping pong auquel se livraient  l’organisme chargé d’élaborer une Liste Electorale Permanente informatisée et le pouvoir du Président Yayi Boni a connu un terme par la Décision 15-001 du 09 janvier 2015 qui fixe au 26 avril 2015 les élections législatives. Elles ont lieu. Boni Yayi n’aura pas la majorité qu’il espérait et Adrien Houngbedji, son rival depuis 2006, prend ou plutôt, reprend la tête du Parlement pour une troisième mandature. On ne saura jamais le rôle joué par Paris dans  cette élection surchauffée à la tête de l’Assemblée Nationale béninoise, mais le moins qu’on puisse dire c’est qu’elle entre parfaitement dans la construction du puzzle élaboré depuis longtemps par la France dans la perspective de 2016. Celui-ci consiste, entre autres, à faire entrer Lionel Zinsou à pas feutrés dans le landerneau politique béninois et à lui garantir le soutien et la protection politique de l’organe législatif jusqu’au rendez-vous suprême. Qui mieux qu’Adrien Houngbedji pouvait-il donner de tels gages ? Sa relation presque filiale avec la famille Zinsou (le père et l’oncle de Lionel), l’idée qu’il se fait de la dignité et de la grandeur de la fonction présidentielle et qu’il a souvent rapportée  à lui-même sans jamais lui trouver, depuis Emile Derlin Zinsou, la moindre équivalence locale, l’ont fait adhérer d’emblée  au projet d’un Lionel Président de la République, et de constituer ainsi avec lui, au sommet de l’état, le tandem prestigieux d’un Bénin relevé. Adrien Houngbedji qui ne cache pas sa profonde amitié pour le pays de Proust et de De Gaulle, qui est intimement fasciné par sa culture et par ses arts, a toujours été convaincu que la politique en Afrique et le sort des élections qui s’y déroulent se décident en France. Comment aurait-il pu manquer de penser que la perspective d’une telle intrusion annonçait une histoire en préparation, un destin en confection, et qu’il avait un rôle indubitablement historique à y jouer et une revanche à prendre aussi sur l’Histoire ?

Le paradoxe Yayi

Question fondamentale qui en appelle une autre : comment conscient des nouveaux dispositifs qui compromettaient ses rêves de succession ou tout au moins ceux sur lesquels portaient ses préférences, a-t-il pu céder, si facilement à la pression française ? Parce qu’il n’avait pas trop le choix ? Non ; simplement parce qu’elle était en symbiose avec l’idée que lui-même a fini par se faire de l’avenir politique du Bénin. Partagé entre ses rêves intimes  et impossibles de durer et la réalité de potentiels candidats à sa succession, plus aptes aux affairismes qu’à l’attachement à une grande idée de l’état, aux engagements qu’elle nécessite et aux sacrifices qu’elle impose, il aura fait le choix du réalisme. Et du patriotisme. Soustraire dans l’urgence, le destin du Bénin aux appétences des loups, qu’ils soient du nord ou du sud ; ravaler à ses justes compartiments une classe politique médiocre, et tenter dans un ultime sursaut de lucidité et de maturité politiques, de redorer l’image trop abîmée du navire-bénin en goguette. Dans une affirmation d’ego aussi ; car le Chef de l’état a toujours observé avec le plus grand mépris tous les hommes ou femmes pressentis à sa succession à une ou deux exceptions près dont celle d’Aurelien Agbénonci, Haut fonctionnaire des Nations Unies, actuellement en Poste à Bangui et qui maîtrise les dossiers du monde et plus particulièrement de l’Afrique  : il connaît leurs faiblesses et il ne mesure que trop bien leurs affligeantes limites.

Et Yayi Boni ne dira pas « non » à François Hollande lorsqu’il lui rappellera le dossier Lionel Zinsou à la faveur de son dernier déplacement sur la France. Le fruit est mur ; les législatives sont passées, un nouveau gouvernement s’impose. Premier ministre ? Oui et pas pour la forme : pour impulser les premières réformes consécutives à la Table Ronde de Paris ; pour redonner du sang neuf à l’éthique économique béninoise et pour préparer l’opinion à ce « dauphin » qui ne dit pas son nom et que l’on n’attendait pas.

Le troisième gouvernement de son deuxième et dernier mandat porte la double marque de ses choix personnels (la récompense aux amis, la promotion du dernier carré de fidèles) et de ce choix externe et consenti qui le libère du coup, des collusions et des arrangements locaux auxquels  il aurait pu difficilement échapper dans les mois qui viennent.

Et ce remaniement libérateur l’est autant pour lui que pour la majorité des béninois qui ont connu d’autres temps ; ces temps là où le Bénin, le Dahomey d’abord, fut grand. Car avec Zinsou, il y a toutes les raisons de croire que c’est le retour d’un certain sens de l’état, d’une certaine idée du Bénin et de l’Afrique. Un pied de nez fait à la généralisation de la médiocrité que les béninois avaient  fini par considérer comme une fatalité.

Lionel Zinsou, la pièce singulière d'un puzzle efficace
Lionel Zinsou, la pièce singulière d’un puzzle efficace
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