L’urgence de se recréer.

24 septembre 2014

L’urgence de se recréer.

 

 

Notre « siècle » est-il aussi « grand et fort » que celui que célébrait Victor Hugo dans Les voies intérieures ? Y voit-on encore « marcher l’idée en mission » ? Non, notre siècle est petit et vulnérable, et « l’idée », la pensée, qui hier, sculptait les nations, est désormais en réclusion.
Le siècle précédent avait déjà jeté les bases de la barbarie à durée indéterminée : il a donné lieu à deux guerres mondiales, au monde concentrationnaire, au génocide, et vers son terme, au terrorisme de masse, sanglant et surréaliste. Certes, il eut ses penseurs : de Husserl à Derrida en passant par Bergson, Alain ou Bachelard, le XX ème brille de tous les feux de l’esprit et ouvre à l’humanité des pistes immenses et nouvelles de réflexion et de connaissances. C’est aussi à ce siècle que nous devons la conquête de l’espace et les fabuleuses transformations du secteur des transports, de ceux de la médecine et des télécommunications. Un siècle génial de créativité mais qui eut la mauvaise idée de convier la mort à la table de son histoire et d’en banaliser les effrayantes démonstrations.
La voix des penseurs n’a pas porté assez haut ; elle n’a pas réussi à modifier le cours de la barbarie ; quelques fois même, elle en fut l’instigatrice. Sartre a eu beau dénoncer le capitalisme et son corollaire d’injustices, celui-ci n’a pas arrêté son développement arrogant et asservissant : le monde est plus que jamais divisé entre riches et pauvres, autant à l’échelle des nations qu’à l’intérieur des pays. Parallèlement, les armes ont plus que jamais circulé ; à défaut de guerres planétaires nouvelles, il fallait vendre ; et vendre aux pauvres…Tant pis si ces armes tombaient entre les mains d’individus douteux ; le marché avant tout. Les fous de Dieu ont acheté ; tous les fous de la planète aussi, et la géographie des conflits planétaires s’en est trouvée dangereusement modifiée : la guerre a été portée partout.
Comment pouvait-il en être autrement ? L’injustice toute-puissante a fait des millions de pauvres partout dans le monde et « la haine tonne en son cratère » peut-être plus jamais qu’autrefois ; c’est l’éruption de la faim…
De la fin aussi ; car l’on imagine mal comment peut finir, autrement que par une conflagration à l’échelle de l’universel, le cancer islamiste qui s’attaque aujourd’hui à toutes les régions et recrute dans tous les milieux et dans tous les pays, se donnant le nom qui l’enchante en fonction de ses délires. Tel est le visage du XXIème siècle, héritière involontaire d’un siècle précédent, que la pensée désertait au fur et à mesure que l’argent y établissait un ordre sans Dieu.
Maintenant au nom du même Dieu recréé sur le terreau de l’ignorance et de la misère et arrosé des eaux glauques de la haine, toutes les folies se mettent en fusion : c’est Boko Haram où l’interdiction de l’instruction, du Nigeria au Cameroun et bientôt au-delà ; c’est AQMI au Maghreb , AL QEDA en Afghanistan au Pakistan et ailleurs, c’est AL NOSTRA, c’est l’EIL … c’est tout ce que l’imbécilité humaine peut inventer quand on ne lui oppose rien.
Mais le XXI ième siècle, c’est aussi la résurgence de la guerre froide qui installe en Ukraine, des conflits et des haines d’un autre âge et dont nul ne peut prévoir le dénouement. C’est aussi la Chine, le Japon et les deux Corées qui réveillent des querelles anciennes, plaçant le monde sous la menace perpétuelle d’un conflit atomique. C’est enfin le Moyen Orient, dans l’interminable feuilleton d’une guerre sans fin où la haine parle plus que la raison.
Mais le XXI ième siècle, c’est peut-être surtout l’Afrique, dont on nous chante les louanges nouvelles, avec le refrain de taux de croissance à faire pâlir d’envie certains pays développés ! Encore un de ces soporifiques mentaux qui ont alangui l’Afrique sur des décennies… L’Afrique, la vraie, est encore hélas celle de la misère, de la mauvaise gouvernance et de l’ignorance qui est la meilleure alliée des politiciens du continent dans leur désir perpétuel d’asservissement des peuples et d’enrichissement individuel. La réalité des peuples d’Afrique aujourd’hui, c’est l’ignorance, c’est la misère, c’est la perte de repères qui engendre la faillite morale ; c’est la violence dans les villes, la grossièreté, l’invective. C’est la fin de la fraternité ; de cette fraternité que les africains brandissaient naguère encore, comme un bouclier contre les contagions d’un occident réputé égoïste.
C’est fini ; et ça semble fini partout, le temps du bien, le temps de la fraternité, le temps de la tolérance, le temps de l’amour. Il n’y a même plus de Sartre pour monter sur des tonneaux et pour crier dans un haut-parleur, les dangereuses compromissions du monde. C’est fini, et nos mains sont bien sales désormais…

Paraphrasons maintenant Néarque interpellant Médée dans la pièce de Corneille :
– Dans un si grand revers, que nous reste t-il ?
– Nous ; nous, et c’est assez !
Nous, c’est chaque citoyen du monde, faisant l’introspection nécessaire à sa renaissance morale et comportementale ; nous, c’est chaque dirigeant de chaque pays, faisant le serment d’un engagement franc et sans contrepartie pour la paix ; nous, c’est chaque égoïsme abandonné, chaque haine enterrée, chaque querelle oubliée. Nous, c’est les responsabilités que l’on décide maintenant d’assumer, dans le sens du bien ; c’est l’engagement que l’on décide de prendre hic et nunc , au service des autres. C’est l’invention de catéchismes nouveaux (nous avons tué Dieu, alors créons les nôtres !) ; la restauration de l’instruction civique dans nos écoles, surtout celles d’Afrique, et c’est le devoir des gouvernants ! Nous, c’est le refus de la violence et de la méchanceté gratuite ; de la haine ou de la jalousie. Ces choses, pour qu’elles aient un jour valeur de culture, c’est dans le périmètre de nos influences respectives qu’il faut d’abord les accomplir. Et c’est de cette seule manière qu’elles forgeront pour nous et pour notre postérité, la civilisation de tolérance et d’amour à laquelle, au fond, tout homme aspire. Il est dangereux et illusoire d’attendre qu’un ordre suprême, une puissance extraordinaire viennent un jour supplanter toutes les autres et impose le bien à l’univers ; chaque femme, chaque homme a, aujourd’hui plus que jamais, entre ses mains, la responsabilité du monde. Il faut qu’on le dise maintenant et qu’on le dise de plus en plus.
Convions ici Bossuet qui écrivait à peu près ceci : L’amour, même dévoyé, est mieux que la haine. Aimons mal, mais aimons quand même ; sans haine, sans tueries, sans barbarie !

Notre siècle perpétuera-t-il la barbarie?
Notre siècle perpétuera-t-il la barbarie?
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